Homéopathie et colères d’enfants

Les enfants tiennent une grande part des consultations  homéopathiques. Les parents les amènent pour toutes sortes de troubles fonctionnels, contagieux, organiques que l’on rencontre à cet âge et souvent aussi pour leurs contrariétés inexplicables, leurs rejets criards et autres violentes oppositions. Sans se substituer aux spécialistes de l’enfance et à leurs recours souvent efficaces, l’homéopathe peut apporter une aide réelle grâce à son appoint thérapeutique. Voyons pourquoi par exemple le remède Chamomilla est approprié pour conjuguer bien des colères de l’enfant.

Voici Jibril, 8 mois, il met ses dents ou plutôt il sort ses crocs : il grogne comme un fauve, il remue, gesticule, s'agite, repousse les bras de sa mère, hurle, se jette en arrière, il est exaspérant ! 

Jibril est le portrait parfait de l’enfant de type Chamomilla, souvent calme et serein le matin et changeant complètement d'attitude après sa sieste : Jibril n'est pas le même l'après midi, dit sa maman, il se réveille en pleurant, il crie, il veut ceci puis cela, il repousse tout, se jette par terre, s'impatiente, s'agite, hurle pour manger, pour avoir une deuxième cuillère avant de terminer la première, pour venir dans les bras, pour tenir tel objet. Il est insupportable jusqu'au soir, jusqu'à ce qu'on l'endorme en le promenant dans les bras…

Question : pourquoi une différence de comportement entre le matin et l'après midi? Le matin incarne et déroule un mouvement vers le haut, il porte l'élan vital ascendant que recherche l'enfant de type Chamomilla, un mouvement vital qui, ainsi, le hisse et le calme. En revanche, l'après midi situe le début d'une courbe diurne déclinante, ralentissante, immobilisante qui retient, astreint et étreint l'élan vital de l'enfant Chamomilla qui, dès lors, en traduit l'effet sous forme d’une rude opposition. Autre façon de voir, la manière   inverse de se conduire de l’enfant, calme le matin et furieux l’après midi jusqu’au soir, marque un décalage par rapport à l’axe constant d’une ligne d’harmonie que l’on imagine continue, régulière, inchangée entre le matin et le soir. Ce décalage figure un tracé vital hors d'un parcours existentiel harmonieux, il exprime une descente, une chute. Et de fait, les enfants encore bien petits comme Jibril, se débattent déjà contre ce qu’ils ressentent comme un glissement vers le bas. On peut y voir jusqu’à l’inscription princeps de la chute de l’homme hors du paradis mais ce n’est pas ici le sujet. On peut aussi noter que l’âge de 8 mois correspond à l’angoisse dite du 8ème mois, au cours de laquelle, selon le psychologue Spitz, l’enfant, ayant acquis, à partir de 8 mois, la perception du manque maternel, s’alarme et s’angoisse lorsqu’il est hors de vue de sa maman Cette période d’angoisse à 8 mois est, de mon point de vue, plutôt, un rappel anniversaire de la période d’angoisse à 8 mois de grossesse, lorsque le fœtus apprend, par annonce intérieure, qu’il va devoir bientôt se séparer de sa mère et venir au monde des hommes.

Bien, retrouvons à présent notre enfant Chamomilla lorsqu’il a 3-4 ans : il est décrit comme étant "méchant, insupportable, capricieux, il désire tout ce qu’il voit et il se met en colère si on refuse de le lui donner, il crie jusqu’à ce qu’il l’ait obtenu et il le repousse aussitôt qu’on le lui donne. Il ne se tient tranquille que lorsqu’on le prend dans les bras et qu’on le promène". Ici aussi, l’amélioration par la promenade reste efficace et l’enfant Chamomilla toujours demandeur, n’insistons pas. Regardons plutôt son comportement, que dit-il ? Il exprime une très violente hostilité envers le monde qui l’héberge, notre monde. Mieux, il dit qu’il se bat contre nos conventions, nos restrictions, nos mutilations. Au départ, en arrivant au monde, le bébé Chamomilla est calme, souriant, affectueux, sa conscience est limpide, innocente, unifiante de telle sorte qu’il associe spontanément son monde serein, épanoui et bienfaisant du dedans au monde du dehors qu’il pense tout aussi serein, épanoui et bienfaisant. Mais assez vite, il rencontre l’existence des hommes, leur mental aride, leur vide d’universalité, leur conscience déviée, conventionnelle, aveugle, sans éveil spirituel, il ressent alors le décalage avec sa cosmicité intérieure, son tout-vivant, son immensité invisible, ses liens avec une indicible présence, il ressent tout cela sans en saisir le sens bien sûr et pourtant il en éprouve l’étreinte. Alors il se rebiffe, il rassemble ses forces, hurle, mord et cogne contre la paroi sourde des grands, il refuse de réduire sa flamme, il se défend de pénétrer dans l’étroit passage sournoisement disposé au centre de la muraille, il s’insurge et frappe encore et encore…       

S’il lui était donné d’entendre, l’homme pourrait comprendre que l’opposition de l’enfant, fût-ce par des silences, n’est pas indispensable pour asseoir, comme on l’admet généralement, sa personnalité et son identité (mais le fait est que l’affrontement assoit une personnalité et affirme une identité… très éloignées l’une et l’autre de leur promesse initiale). L’enfant hurle d’abord pour repousser une existence froide, mécaniste, il crie contre les caricatures en tout genre, les mortelles conventions, contre une vie rétrécie, amputée, torturante et surtout exempte de prolongements fondateurs, universalistes, si essentiels… L’enfant, par ses protestations, porte inconsciemment un regard accusateur sur l’aveuglement des hommes, il dit "homme, vois comme tu m'obliges à m'endurcir, à me renier, dois-je, pour me bâtir, toujours te heurter? Devrais-je, pour venir chez toi, toujours m'expatrier, aller vers tes fixations et me figer aussi? Homme, écoute mes plaintes, elles s'adressent à ton discernement : comment peux-tu feindre de croire qu'une personnalité peut mieux se développer et bien s'identifier par opposition (à l'homme) plutôt que par union avec l'harmonie universelle? Est-ce parce que tu ne représentes plus cette belle concordance que je ne trouve sur mon passage que ton opposition aveugle, opposition que d'ailleurs tu verses sur moi par l'effet de ton aveuglement, moi qui t'en porte le sens! Aurais-tu perdu complètement le goût pour l'harmonie que je tiens, moi, pour seule référence, pour seul commandement à mon équilibre? Est-ce là la raison de nos affrontements dont je te concède que tu sors vainqueur mais toujours aveugle et moi vaincu, par conséquent aveugle aussi, ce qui, d'ailleurs, nous sépare et nous réunit dans une semblable cécité. Eclaire moi homme : être, est-ce comme l'amour, un pouvoir d'unification ou un pouvoir d'opposition?"1

Donc l'enfant, après avoir longtemps cogné, s'exténue devant le rempart adulte, il dépose ses images, ses souvenances, son espace, ses futurs, il tranche autant de quantités notables de psychisme (quelque chose comme de la conscience réelle tombe avec ces ablations) et il s'insinue dans l'existence. Il nous laisse percevoir, à travers sa conduite paradoxale, comment sa conscience d’enfant se transforme puis capitule face à celle des adultes ou comment elle se dissocie et s’inverse en deux territoires antinomiques qui portent, chacune, la marque des violences opérées en elle :

     - un premier territoire de conscience embrasée par les colères, retournée et déversée dehors sur le monde extérieur,

    - un deuxième territoire délaissé ou plutôt violemment abandonné dedans (du fait des déversements vers l’extérieur) qui, maintenant, appelle, violemment cela va sans dire, la réintégration de la partie démise mais c’est une contrepartie "réaliste", défigurée qui vient dedans, alors elle est repoussée avec force et ainsi de suite.

L’enfant Chamomilla fait ainsi des va et vient continuels entre deux champs de vie réunis dos à dos et séparés par un principe violent puisé dans la "réalité" de l’homme. Ses symptômes psychiques traduisent sa double inversion, source d’un double mécontentement, ils disent qu’il veut rester, hélas sans succès, dans son univers étendu jusqu’aux étoiles ; ils disent aussi qu’il combat, hélas sans succès, nos serrures mentales et nos verrous physiques. Mais obstiné et furieux, il lutte longtemps ("l’oubli" du soi intérieur annoncera sa soumission définitive à la domination conventionnelle), il veut rassembler ses territoires, il veut à la fois son autonomie totalisante et l’affection, l’amour universel qu’il croit un instant répandus dehors, dans l’existence des hommes. Il sait, parce que c’est encore frais dans sa mémoire, qu’il existe un endroit d’être où se mêle en un seul principe ce qu’il est obligé de tordre en deux incompatibilités. D’ailleurs, n’est-il pas apaisé lorsqu’il vit un moment plein, quand il est pris dans des bras chaleureux, unificateurs et qu’il est promené dehors dans le mouvement de la vie ? Cet instant, il le goûte car c’est un plaisir d’être un en soi, un avec l’autre et un dans le cours du monde.

Question de pratique maintenant : pourquoi le remède Chamomilla apporte-t-il une amélioration?

Réponse succincte. On connaît les bienfaits de la tisane de camomille matricaire sur les troubles digestifs, menstruels, pharyngés, cutanés, et aussi ses vertus sur l’anxiété, l’insomnie, l’irritabilité, la colère et autres emportements. Préparée en remède homéopathique, la plante camomille matricaire est encore plus nettement efficace parce qu’elle agit directement au moyen de son empreinte immatérielle, laquelle est conforme à celle, tout aussi immatérielle, des contorsions de l’enfant de type Chamomilla. Cette empreinte Chamomilla, tirée de la plante Chamomilla vulgaris est très contrastée, elle est faite de deux forces ou deux territoires antinomiques :

     - une force ou un territoire (A) fait d'un étirement échaudant,

     - une force ou un territoire (B) fai d'une compression refroidissante.

 Sur la spirale de Moebius cette empreinte s’écrie ainsi :

 

Ces deux territoires, rapportés au plan psychique, correspondent au drame vécu par l’enfant de type Chamomilla, à la défiguration de sa conscience qui est, d’une part, étirée et échaudée par ce qu’elle ressent à l’extérieur, d’autre part, compressée et refroidie par ce qui lui vient à l’intérieur. Deux territoires où s’inscrit une violence vécue dehors et dedans. Cette empreinte est suggérée dans le texte : "il désire tout ce qu’il voit et il se met en colère si on refuse de le lui donner, il crie jusqu’à ce qu’il l’ait obtenu et il le repousse aussitôt qu’on le lui donne." Autrement dit, il est chauffé à blanc lorsqu’il réclame à l’extérieur un objet-symbole en lequel il attend, non pas un lot de consolation mais un don d’amour, une tranquille ferveur, un retour d’universalité dans laquelle il est spontanément immergé alors que là, il reçoit un objet-symbole de rien, un objet inerte, froid, vide de présence immanente, un objet insignifiant qu’il rejette violemment, déçu, frustré, furieux du manque de discernement des adultes. Sans entrer dans un long commentaire, on comprend qu’il désire dedans une quiétude et une harmonie existentielle qui n’existent pas dehors et qu’il désire dehors une quiétude et une harmonie existentielle qu’il ne ressent plus dedans. On sait que, violemment obstiné, il lutte longtemps et sans répit, qu’il lutte des années durant, jusqu’au bout de ses forces, jusqu’au renoncement de lui même, jusqu’à l’ultime transformation qui forgera une conscience pétrifiée dans un corps meurtri. L’enfance, cette pâte selon l’expression de Bachelard, aussi exsangue soit-elle, demeure en soi, jusqu’à l’instant du dernier jour, "elle est là courant comme un petit chien qui autrefois a été un gai compagnon et qu’on doit maintenant soigner et panser, à qui on prodigue mille médicaments pour qu’il ne vous meure pas entre les doigts"2] Parmi ces médicaments, mettons en bonne place le remède homéopathique Chamomilla et saluons ses bienfaits sur certaines colères légitimes de nos enfants.

                                                                                                                                                                                                    Mars 2024


1 KAICI Moulay : Voir la maladie - Editions Connaissances et Savoirs, page 93

2 BERNHARD Thomas : Gel -  Editions Gallimard, page 70

 

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