Homéopathie et littérature

         Les écrivains inspirés savent rendre compte de sensations physiques survenant en même temps à différents endroits du corps, sachant qu’un lien inconnu et mystérieux les rattache. Ainsi Thomas Bernhard, dans son livre "Gel", fait dire à son interlocuteur: "Il existe sans doute un rapport mystérieux entre mes maux de têtes et ces maux de pieds. Il est connu qu'il existe un rapport entre l'un et l'autre, si secret soit-il. Donc, aussi, entre différentes parties du corps". Et un peu plus loin : "On pourrait  avoir les mêmes douleurs en deux points du corps opposés, "Avoir une seule et même douleur". Tout comme on pourrait ressentir certaines peines de l'âme... en différents points du corps. Et des douleurs physiques dans l'âme !"1 Ainsi Robert Musil : "Elle sentit un frémissement dans le cerveau, une impression incroyable, comme si quelque idée s’était détachée de la sujétion spectrale des autres, tout en demeurant encore simple imagination ; en même temps un frémissement indubitable loyalement réel sur la peau."2

         Voilà, sous la plume de grands auteurs et à leur insu, le plein monde homéopathique : des sensations éparses unies par un même lien. Ou, pour utiliser le langage homéopathique, des symptômes distincts issus d’un dénominateur commun (inapparent mais à découvrir). Petit rappel là dessus.

         La consultation homéopathique se construit autour des symptômes individuels physiques et mentaux du malade. Prenons un cas très simple : Denis, 49 ans m'expose les signes de son allergie saisonnière : rhinorrhée irritante, rougeur aux yeux avec larmoiements, mal de tête avec impression comme si le cerveau s’élargissait et picotements à la gorge avec toux sèche, sifflante, cassante. Le remède homéopathique de ces allergies est l’ultra-connu Allium cepa, le vulgaire oignon. Pourquoi ? Parce que le remède Allium cepa répond exactement aux symptômes décrits :

         - lorsqu’on expérimente sur des sujets sains des dilutions d’Allium cepa, ceux-ci développent des signes d’irritations, d’écorchures (yeux, gorge) et des sensations d’expansion, de dilatations (thorax, ventre). Bien sûr, cela vient de la nature de l’oignon, de son génie vital comme le montre son mode de croissance : il se développe en élargissant son volume et en découpant l’épaisseur de ce volume en lamelles juxtaposées. D’où, en termes de symptômes subtils, hors sphère ORL, la sensation d’avoir un ventre très flatulent avec des douleurs coupantes, déchirantes (voir symptomatologie complète dans ma rubrique "Génie des remèdes").

         -  l’empreinte ou génie spécifique d’Allium cepa inscrit deux contreparties à la fois antinomiques et réciproques. Sur la spirale de Moebius, cette empreinte s’écrit ainsi :

                  Allium

         Ma découverte des empreintes de remèdes homéopathiques en forme de spirales de Moëbius remonte à plusieurs années, chaque empreinte de remède est à la fois individuelle avec deux contreparties spécifiques de la substance testée et universelle avec une assise commune en forme de spirale. Comme cela est pour chaque chose de la création. Comme cela est perçu par les écrivains de haute stature. Ainsi Philippe Dautais à propos des contreparties : "les polarités sont des expressions antinomiques d’une unité profonde. Elle manifestent deux aspects en apparence contradictoires mais indissociables car procèdent de l’unité".3 Une longue insertion montrerait ici que chaque spirale est construite avec une partie Yin et une contrepartie Yang avantageusement interactives comme le souligne François Cheng : "entre le Yang, puissance active, et le Yin, douceur réceptive, le souffle du Vide médian -qui tire son pouvoir du Vide originel- a le don de les entraîner dans l’interaction positive, cela en vue d’une transformation mutuelle, bénéfique pour l’un et pour l’autre.4 L’action bénéfique, dans Allium cepa, est dans l’œuvre créatrice de la plante, depuis sa racine jusqu’à son fruit où tout se conjugue, tout s’agence, tout s’absorbe en une unité parfaite sous forme d’un génie spécifique qui est l’empreinte homéopathique de la plante. Pour Allium cepa, une force expansive et une force incisive. Depuis la racine bulbeuse, charnue dedans et découpée en plusieurs couches membraneuses à l’extérieur, les feuilles élargies mais retenues en cylindres, fistuleuses et pointues, la tige droite, renflée vers le milieu et portant à son sommet une tête faite de fleurs-de-lys dont chacune est découpée en six pétales, six étamines et un pistil. Partout la même signature vivante "en vue de la plénitude de son être, une plénitude posée dès son germe, dès son lointain commencement, de toute éternité, dirait-on."5 Ici, l’envolée du poète dépasse les précisions de l’homéopathe, Cheng soulève le lecteur vers les hauteurs du monde invisible et le laisse pantois, libre et sans limite quand l’homéopathe le retient dans le monde des empreintes signifiantes. A chacun son entendement. Pour moi, ce simple texte pour répondre aux élans nourriciers de nos remarquables penseurs. Tel Christian Bobin : "Ce que je vois, ce n’est jamais telle chose ou telle autre, c’est le lien entre les deux, le lien entre un visage et sa solitude, entre une femme et son enfant, entre un arbre et chacune de ses feuilles"6  

                                                                                                                                 Août 2024


1 Bernhard Thomas : Gel - Editions Gallimard - page 48

2Musil Robert : L’homme sans qualité - tome I : Editions du Seuil, page 320 

3 Dautais Philippe : La voix du cœur : Editions Salvador – Paris 2020, page 35

[4] Cheng François : Cinq méditations sur la beauté - Editions Albin Michel, page 95

5 Cheng François : Ibid, page 39

6 Bobin Christian : La merveille et l’Obscur  - Edition Paroles d’Aube, page 69

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