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Homéopathie et espace temps

     Je me propose ici de dire quelques mots sur l’homéopathie dans le temps. Chacun sait que le médecin homéopathe s’intéresse aux modalités d’aggravation et d’amélioration du patient, modalités qu’il vérifie souvent à l’heure près. L’intérêt de ces modalités est d’apporter des précisions sur le rythme de la maladie, ses tours, ses retours, son enracinement profond à tel moment, son décrochement transitoire à tel autre, et ainsi d’y exprimer le génie de la maladie, étalé en plages de temps.

     Prenons appui sur le sujet de type Aconit napellus qu’on connaît bien maintenant. La pathogénésie décrit un sujet angoissé avec une peur incessante, indéfinissable, irraisonnée, peur de la foule, même de traverser la rue, peur des ténèbres, de la mort, peur avec agitation, peur avec insomnie surtout à partir de minuit, peur avec cauchemars, rêves angoissants et sursauts lorsqu’il dort.

     Retenons l’aggravation à minuit et regardons sa signification à travers les qualités du temps dans l’empreinte d’Aconit napellus :

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     Nous savons que chez le sujet de type Aconit napellus, existent deux forces contraires, l’une est force paralysante, l’autre force mobilisante, nous savons que ces deux forces opposées s’affrontent jusqu’à la limite de la rupture avec un très léger avantage pour la force glaçante. Le moment où la force paralysante est à sa plus haute intensité se trouve au centre de la nuit parce que cet horaire représente, dans le nycthémère, le moment le plus immobilisant, le plus figé, le plus glaçant pour rester sur le ton du génie d’Aconit napellus. C’est aussi le moment où, par réciprocité, est poussée à son paroxysme la réplique contraire, la force secouante, en alerte continue. Ainsi, le centre de la nuit sonne la limite d'une part, des forces remuantes, réactives à l'extrême au bout distal de la période diurne (minuit), d’autre part, le centre de la nuit sonne le moment extrême où les forces glaciales sont renforcées au maximum au plus profond de la période nocturne (minuit).

     En résumé, l’aggravation à minuit est parfaitement conforme au génie du remède Aconit napellus, elle exprime, en valeurs de temps, le moment le plus adéquat pour indiquer le plus fort moment du combat dantesque des deux forces opposées en l'individu du type Aconit napellus.

     Ailleurs et toujours, en homéopathie, quel que soit le remède étudié, les heures d’amélioration et d’aggravation expriment en qualité de temps, le génie en cause. Prenons un autre exemple : le sujet Nux vomica est systématiquement aggravé le matin au réveil et le soir au coucher, beaucoup de ses souffrances apparaissent à ces moments. Cet individu est décrit impulsif, impatient, très colérique, prompt aux répliques, aux violences verbales, aux agressions physiques, à toutes formes de fureur et en même temps il est triste, sombre, morne, silencieux, taciturne, reclus en lui même, tourmenté par de vives souffrances, par des acidités et des crampes gastriques, par un pyrosis, par des éructations et des nausées surtout le matin et en même temps cet individu se plaint de fortes lenteurs digestives, de longues pesanteurs, de tympanisme, de constipations chroniques, d’évacuations incomplètes. Et beaucoup d’autres symptômes qui, tous, montrent deux contreparties :

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     Avec une aggravation des symptômes le matin au réveil et le soir au coucher. Où est le génie dans ces horaires ? En ceci :

                    le matin est un moment qui sort de la nuit et qui s’ouvre au jour, moment délicat pour l’individu de type Nux vomica, moment où il lui faut abandonner le refuge et la rétention intérieure pour mettre en place sa garde, ses défenses, son impérieuse détente.    

                    - le soir est un moment qui rentre dans la nuit et qui ferme le jour, moment délicat pour l’individu de type Nux vomica, moment où il lui faut abolir la garde et les répliques impérieuses pour se retirer dedans, dans un long reflux nocturne.

     On le voit, les deux périodes d’aggravation sont en rapport direct avec le génie du remède.

     Pour finir, je reprends un texte de mon livre  (Entendre le remède homéopathique - Editions Connaissances et Savoirs, pages 192-194)  dans lequel je note la répartition du temps chez le sujet Nux vomica à travers l’ensemble du corps ou comment les régions périphériques avec la vivacité des réactions servent à symboliser la force (A) et comment le milieu du corps avec l’immobilité des organes abdominaux sert à symboliser la force (B). L'image de la noix vomique, elle-même, d’où est tiré le remède, avec son noyau resserré au milieu et sa pulpe irritante en périphérie est, bien sûr, présente à travers ces symptômes.

     Voici donc comment le sujet de type Nux vomica dessine le génie à travers ses qualités de temps. «Pour apercevoir cette image, il faut rassembler tous les signes, fondre les génies physiques et les génies mentaux dans un corps spatial imaginé et apprécier l'allure générale. Ainsi fait, on s'aperçoit que l'ensemble met en évidence différents temps de réaction, judicieusement répartis : les génies du centre sont lents, ceux de la périphérie sont rapides.…][… au centre de son corps, dans la partie abdominale, la physiologie est très ralentie, la digestion difficile, les selles stagnantes. Dans cette partie, les fonctions sont retardées, les échanges troublées : ici, la pesanteur se "matérialise" pourrait-on dire. De surcroît, pour mieux illustrer la lenteur, les fonctions qui se prolongent en durée, se compliquent. Par exemple, l'aggravation 1h ou 2h après le repas ou celle qui accompagne le séjournement des selles, démontre la paresse centrale. Bref, au centre la tendance est à la stase, le temps se traîne.

     Quel contraste avec l'impatience, l'agitation, l'emportement du personnage. Le sujet de type Nux vomica, habité par l'irritabilité, se surmène au travail, il agresse l'entourage, s'inquiète de tout et de rien, il se lance dans des affaires avec la même brusquerie, il veut brûler les étapes, "éperonner le temps". Cette hyperexcitabilité physique et mentale, équivaut à un tourbillon agité, à une turbulence qui entoure Nux vomica. Rapportée au corps virtuel du personnage, elle correspond à une frange tumultueuse où s'agitent des mouvements très vifs. On peut dire qu'à la périphérie, la tendance est à l'accélération, que le temps se hâte, se gâte.

     C'est donc clair, le sujet de type Nux vomica caractérise son génie avec du temps remodelé à son image : il court dehors, derrière le temps qu'il a emprisonné dedans. La translation reflète l'alerte qui l'a dépossédé et qui est au cœur du mécanisme, elle montre que le sujet de type Nux vomica est esclave d'une spirale tournée vers l'enserrement, avec des orbites de temps caractéristiques. Chez lui, les spirales concentriques qui intercalent, au centre, des couches de temps comprimé, expriment un retard par rapport à lui-même. Les spirales excentriques qui posent, à la périphérie, des couches de temps désinvesti (des sortes d'empreintes "en négatif", comme les sous vestiges d'une présence antérieure) expriment une fuite en avant, une fuite "hors" de lui-même. Le sujet de type Nux vomica est soit au delà, soit en deçà mais jamais avec lui-même. On comprend qu'il soit aggravé par tout ce qui touche ses espaces inhabités, de surcroît lorsqu'ils sont, surtout ceux de la périphérie, fouettés par des courants d'air froids ou lorsqu'ils sont pénétrés par un monde hostile car, c'est bien sûr là, dans ces espaces périphériques "morts" que pénètre la réalité. C'est là que se presse l'existence du dehors, là, dans cette région carencée, que le monde à consommer prend racine et signification, là que se trouve désormais le centre du moi, un moi dévié, précipité, alarmé, un moi rivé sur la seule visibilité du dehors. C'est aussi là que prennent forme les projets de Nux vomica, là qu'il voit, réfléchit, construit le monde, c'est là, dans cette désaffection où gît une mémoire décapitée, qu'il se cherche et se perd. C'est bien entendu là aussi, qu'il se donne des rendez- vous manqués d'avance mais ce n'est pas là qu'il a, avec lui-même, un rendez-vous immanquable.»

                                                                                                                                                               Février 2024

                             

 

                             

                             

                             

                             

                             

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